Ethné de Vienne: Ambassadrice du monde
Ethné de Vienne s’agite entre les étagères de son atelier où sont rangées plus de 400 épices différentes dans des bacs blancs et dans les petits pots de métal qui sont sa marque de commerce.
« Where is it? Help me, help me! I get excited, oh my Lord! » lance théâtralement la Trinidadienne dans sa langue maternelle.
Une de ses employées lui désigne l’endroit où se trouve le curcuma non moulu.
« I’m gonna show you de quoi ça a l’air! » s’exclame-t-elle en brandissant victorieusement l’épice qu’elle cherchait.
Cette ancienne mannequin à la tenue multicolore me montre fièrement un butin de petits bâtons orangés. Dans une autre boîte blanche, le curcuma est à moitié concassé, et dans une troisième, il est entièrement moulu, grâce à une machine qui se trouve quelques mètres plus loin.
« Une épice moulue juste avant son utilisation est à son meilleur », explique-t-elle dans son français parfait, le doigt en l’air, en me fixant à travers ses grosses lunettes brunes.
L’odeur qui se dégage des quartiers généraux d’Épices de cru est perceptible à plus d’un coin de rue sur l’avenue Letourneux, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal. La copropriétaire de l’entreprise m’y a accueillie une heure plus tôt. Ethné, qui a immigré dans la Belle Province avec ses parents en 1969, me raconte son histoire dans une grande salle de réunion décorée avec des tapisseries, des mortiers, des pilons, des objets d’art traditionnel et 2 500 livres de recettes. « Philippe les a tous lus! Il s’est donné la tâche de connaître toutes les cuisines du monde », déclare-t-elle au sujet de son conjoint et partenaire d’affaires.
Faire découvrir ces cultures culinaires au maximum de gens possible, voilà l’une des missions d’Ethné et de Philippe de Vienne. Ils l’ont d’abord accomplie grâce à leur service de traiteur, puis, depuis 15 ans, grâce à l’importation d’épices provenant d’une quarantaine de pays.
Leur succès, la Québécoise d’adoption est convaincue qu’ils n’auraient pas pu l’obtenir ailleurs dans le monde.
« Les Québécois ne sont pas très nationalistes sur le plan culinaire. « Je n’aime pas ça parce que ça vient d’ailleurs », c’est quelque chose qu’on entend dans plusieurs pays, affirme-t-elle en changeant sa voix pour illustrer le mépris de certains individus. Ici, on est des cochons! On adore bien manger et on se demande peu d’où ça vient. Si c’est bon, on l’adopte! »
Confortablement installée dans sa chaise, Ethné prend une gorgée de thé vert dans une tasse confectionnée par son fils Arik, céramiste. Puis, elle raconte à quel point les goûts et les connaissances de Monsieur et Madame Tout-le-Monde ont évolué depuis 15 ans au Québec. Le curcuma, d’origine indienne, est maintenant l’épice la plus populaire de l’entreprise, avec le poivre.
« Avant, on expliquait la différence entre la vraie cannelle et la casse, qui est plus courante ici et moins chère. Aujourd’hui, les gens entrent dans notre magasin et demandent : « Avez-vous de la cannelle ? Mais la vraie ! » », rapporte-t-elle en riant.
Selon cette amatrice de pêche au saumon, les épices prennent de plus en plus de place dans la cuisine de chez nous, même dans les plats traditionnels. Ainsi, Épices de cru propose des mélanges à cretons et à tourtières.
« Je suis tombée en amour avec le pâté chinois la première fois que j’en ai mangé, mais il n’y avait pas assez d’assaisonnement. Alors, je mets dans la viande du cumin, de l’oignon, de l’ail et des chilis, j’ajoute au maïs du piment d’Alep, et dans les pommes de terre, je mélange de la noix de muscade et des échalotes », énumère-t-elle.
Tout en expliquant l’importance de valoriser l’origine des produits et les petits producteurs d’ailleurs, Ethné regarde un message texte qu’elle vient de recevoir. C’est son contact en Éthiopie, Andrew, qui lui envoie une photo de knockout chilis. Elle s’excuse, puis se lève pour aller montrer la photo à Philippe, assis dans la pièce voisine.
« C’est la première fois que ça va être exporté ! » s’exclame-t-elle en revenant s’asseoir. Le couple a visité une ferme, dans ce pays d’Afrique de l’Est, où les propriétaires ne faisaient pousser ce piment fort que pour eux-mêmes. « On y a goûté et on a dit : » Si vous en plantez d’autres, pouvez-vous les faire sécher et nous les envoyer ? » Ils ont accepté. »
Ainsi, au cours de leurs voyages, Ethné et Philippe continuent chaque année de faire des trouvailles qu’ils proposent ensuite aux consommateurs occidentaux en ligne, à leur boutique du Marché Jean-Talon et dans divers points de vente partout dans la province. Ils vendent aussi des produits du Québec, comme le piment gorria, le thé du Labrador et le poivre des dunes, mais de fréquents problèmes d’approvisionnement limitent la quantité et la disponibilité des épices locales.
La grande aventurière importe peu d’épices de son pays d’origine, Trinidad, mais elle traîne toujours dans ses bagages l’ouverture aux autres et l’aisance interculturelle qui, à ses yeux, donnent toute sa saveur à cette île des Caraïbes qui l’a vue naître.
Texte de Roxane Léouzon, cariboumag.com
Photo de Marc-Olivier Bécotte
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*Ce texte est paru dans le numéro d’Ici et d’ailleurs du magazine Caribou.
La grande famille des Marchés publics de Montréal est forte des producteurs, des marchands et des artisans qui la composent. Depuis des années et des générations, ils se lèvent tôt, expérimentent, ratent parfois, recommencent tout le temps, veillent, récoltent et réussissent ! Jour après jour, ils se tiennent fièrement debout derrière leurs étals comme au bout d’une table où ils nous invitent à manger. Ils sont le cœur et l’âme d’un marché, l’essence de sa personnalité, la raison pour laquelle on a envie d’y retourner. La série Portrait de famille tient à rendre hommage et à raconter l’histoire de ces piliers de nos Marchés publics.
Ce projet a été financé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation dans le cadre du Programme d’appui au développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire en région.
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