Les Jardins d’Arlington : La belle aventure de néoruraux passionnés
En ce lundi matin ensoleillé, Claire Lanctôt et Nasser Boumenna, propriétaires des Jardins d’Arlington, font le va-et-vient entre la chambre froide et le camion du Centre d’action bénévole de Bedford. Ils transportent à bout de bras des caisses de légumes. Une fois par semaine, ils offrent leurs surplus à l’organisme dans un souci de réduire le gaspillage alimentaire et d’aider leur communauté. Un geste tout naturel pour ces maraîchers engagés et passionnés.
Depuis 13 ans, à Stanbridge East, Claire et Nasser s’investissent corps et âme à produire des fruits et légumes biologiques de qualité offerts du vendredi au dimanche aux marchés Atwater et Jean-Talon ainsi que dans les paniers de leurs membres. Pourtant, rien ne les prédestinait à se lancer en agriculture. Lui travaillait dans le domaine des arts et technologies, elle était cadre et professionnelle en financement d’entreprise.
Citadins montréalais et parents de quatre enfants, ils souhaitaient néanmoins un changement de vie draconien, un projet commun articulé autour de la famille. « On voulait quitter la ville, s’établir à la campagne et avoir un projet économiquement viable. On était des jardiniers de fin de semaine, on ne connaissait rien du métier! » précise Nasser.
En 2008, le couple de quarantenaires, dont les enfants étaient âgés de 4 à 12 ans, a statué que le moment était venu. « Si on voulait réaliser notre projet d’agriculture bio, il fallait plonger », se remémore le producteur. En moins de 24 heures, c’était décidé : leur vie allait changer du tout au tout. « C’était un saut dans le vide, un changement radical », disent-ils en chœur.
Le Montréalais a commencé à explorer les campagnes de la région de Brome-Missisquoi en quête d’une terre. Il a cherché et cherché, en vain. Alors que l’hiver s’installait, on lui a parlé d’une ancienne ferme laitière du chemin North, à Stanbridge East. C’était dix fois plus grand que ce qu’ils avaient prévu : 130 acres.
Des raquettes aux pieds et des étincelles dans les yeux, il a parcouru les blanches étendues en sachant qu’il se trouvait enfin chez lui. La ferme était à vendre depuis deux ans, mais la propriétaire avait refusé plusieurs offres. « C’était une veuve de guerre écossaise, arrivée après la Deuxième Guerre mondiale, explique Claire. Elle avait marié un homme de la région et avait élevé ses enfants ici. Elle tenait à ce que sa ferme reste vivante. »
La vieille dame a reçu la famille dans sa petite cuisine chauffée au poêle à bois et lui a offert du thé dans sa belle faïence. « Il y a eu une connexion, c’est une belle histoire de transmission et de passion, raconte Claire. On aurait aimé la recevoir plus tard, mais elle a eu un cancer et elle en est décédée. Je crois qu’elle aurait aimé ce qu’est devenu l’endroit. » Les beaux jardins colorés, tout près de la maison, représentent son legs. « Elle disait qu’une ferme sans jardin fleuri n’est pas une ferme, ajoute-t-elle. On les entretient pour lui rendre hommage. »
La maison a été rénovée et agrandie, le bâtiment du personnel a été refait et la ferme laitière a été convertie en une terre maraîchère biologique. Aujourd’hui, les Jardins d’Arlington, c’est 25 acres de production biologique, avec rotation des cultures et engrais verts. On y cultive une soixantaine de fruits et légumes : radis, tomates, choux, chicorée, courges, okra, cerises de terre, melons et bien plus. Le reste a été converti en foin en vue d’augmenter la production dans les années à venir.
Les enfants, Djamel, Tarek, Imad et Yamina, ont sauté à pieds joints dans l’aventure. « La ferme nous a apporté énormément en tant que famille, avance Claire. Dès qu’on a fait ce choix, j’ai été beaucoup plus présente pour eux. Les enfants aiment la ferme et les gens sont parfois étonnés de la facilité avec laquelle ils nous aident. » Chacun a mis les mains à la terre, a servi la clientèle aux kiosques, a effectué des livraisons. Djamel, 25 ans, et Imad, 20 ans, qui étudie l’agronomie à l’Université McGill, pourraient assurer la relève.
Dès le départ, le couple a misé sur l’agriculture biologique diversifiée. « On l’a fait et on continue de le faire par conviction, parce qu’on est soucieux de notre santé, de la planète et parce qu’on aime bien manger », explique la productrice.
Pour bien faire les choses, Nasser est retourné sur les bancs d’école. En compagnie de jeunes de 18 à 21 ans, il a étudié en gestion d’entreprise agricole au cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu. Il a fait un stage auprès d’un fermier local qui l’a aidé à démarrer son projet. Il a aussi pu compter sur le Réseau des fermiers et fermières de famille, dans lequel il est aujourd’hui très impliqué.
Les Jardins d’Arlington ont fait leur entrée au marché Atwater en 2016 et au marché Jean-Talon en 2019. Ils comptent parmi les rares producteurs biologiques sur place. « Il a fallu apprendre les rouages du marché. Plusieurs marchands le sont de génération en génération, souligne Claire. C’est intimidant. On a fait un apprentissage collectif en famille. »
La famille a eu un coup de foudre instantané. L’ambiance des marchés rappelle à Nasser son enfance à Alger. « Avec le temps, on tisse des liens solides avec les clients, dit-il. Une fois qu’ils ont découvert qui on est et ce qu’on fait, qu’ils apprécient la qualité de nos produits, ils sont fidèles. Au printemps, certains nous appellent pour savoir quand on sera de retour! »
« On a toujours des papillons dans le ventre quand on y revient, ajoute Claire. Les enfants aussi, ils aiment la vibe des marchés. »
Les producteurs, nourris par le contact avec la clientèle, ont trouvé leur équilibre entre les paniers et les marchés. « On aime le contact direct avec les personnes qui cuisinent et mangent nos légumes. C’est d’une intensité incroyable : on travaille jusqu’à 18 heures par jour, mais on adore ce qu’on fait », dit Claire. La famille voue un grand respect envers tous les producteurs, conventionnels comme biologiques.
Le couple aime à ce point les marchés publics qu’il envisage une semi-retraite à gérer uniquement la vente en kiosque. « On est des fans finis des marchés, on endosse à 100 % leur mission, indique Claire. Pour nous, les marchés, c’est la cerise sur le sundae! »
Qu’est-ce qui vous motive à vous lever chaque matin?
La lumière du jour, magnifique à 5 h du matin.
Trois mots pour décrire l’ambiance au marché?
Authenticité, convivialité, énergie contagieuse.
Un produit incontournable à se procurer à vos kiosques?
Tomates ancestrales, maïs sucré, roquette… et beaucoup plus!
VOIR TOUS LES PORTRAITS DE FAMILLE
Texte de Sophie Allard, magazine Caribou
Photo de DAPH & NICO
La grande famille des Marchés publics de Montréal est forte des producteurs, des marchands et des artisans qui la composent. Depuis des années et des générations, ils se lèvent tôt, expérimentent, ratent parfois, recommencent tout le temps, veillent, récoltent et réussissent ! Jour après jour, ils se tiennent fièrement debout derrière leurs étals comme au bout d’une table où ils nous invitent à manger. Ils sont le cœur et l’âme d’un marché, l’essence de sa personnalité, la raison pour laquelle on a envie d’y retourner. La série Portrait de famille tient à rendre hommage et à raconter l’histoire de ces piliers de nos Marchés publics.
Ce projet a été financé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation dans le cadre du Programme d’appui au développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire en région.
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