La Ferme Jodoin : redonner ses couleurs à la tomate
Elles sont grosses, charnues, de formes variées, souvent imparfaites, avec des teintes franches allant de l’orangé au violet. À des années-lumière de la belle petite tomate rouge de serre vendue en épicerie, les tomates ancestrales de la Ferme Jodoin ont du caractère et de la personnalité.
Elles ont aussi un goût unique aux dires de Mathieu Jodoin, qui cultive une quinzaine de variétés sur la terre familiale de Saint-Damase, en Montérégie, avant de les vendre à son kiosque du marché Atwater. Ses tomates sont dénuées d’acidité, laissant toute la place à une chair juteuse et parfois sucrée. Bref, elles amènent une diversité bienvenue dans un univers où dominent des critères d’apparence et de goût souvent trop stricts.
« Avec la génétique et l’hybridation, on a un peu dénaturalisé la tomate. La rouge, la rose et l’italienne sont devenues la norme. C’est un peu plate. Mais les tomates n’ont jamais été que roses ou rouges », rappelle Mathieu Jodoin.
Les tomates ancestrales sont issues de semences anciennes à pollinisation libre, qui étaient utilisées avant que l’industrie et la génétique standardisent la production. Elles sont littéralement le fruit d’une lente sélection naturelle effectuée au fil du temps par les semenciers. Il existe donc des centaines, voire des milliers, d’espèces différentes.
Ce sont cependant des cultures délicates. « Il y a toujours un risque. Ce sont des tomates fragiles, indique le producteur de 30 ans. S’il y a un gros orage et qu’il vente, ça fait bouger les plants. Parfois, il pleut tellement fort que ça fait craquer les tomates. Ce n’est pas parfait, tandis que la culture en serre limite les risques. »
Les tomates de Mathieu Jodoin sont fort populaires, ce qui l’a incité à augmenter sa production cette année à 3000 plants. « Les gens commencent à comprendre que c’est ça, une tomate! » se réjouit-il.
Le jeune cultivateur a récemment repris la production maraîchère de la Ferme Jodoin, qui comprend aussi une érablière de 8500 entailles.
C’est son père, Gilbert, qui s’est lancé dans la production de tomates ancestrales il y a une vingtaine d’années, après avoir repris la terre de son propre paternel. Maintenant âgé de 61 ans, il a confié la production maraîchère à Mathieu pour se concentrer uniquement sur l’acériculture avec sa femme, Louise.
La ferme a été fondée en 1920 par l’arrière-grand-père de Mathieu, un des premiers fermiers à avoir vendu ses produits à l’inauguration du marché Atwater. Aujourd’hui, en plus des tomates ancestrales, la Ferme Jodoin produit une panoplie de fruits et légumes, dont des fraises, de l’ail, des piments et des courgettes.
Avant de revenir à la ferme, il y a quelques années, Mathieu a tenté sa chance dans la construction, puis la restauration. « Quand j’étais jeune, ce n’était pas l’agriculture qui m’intéressait le plus. J’ai pris plusieurs chemins, souligne-t-il. Mais je suis retourné sur la terre familiale par passion. J’étais un peu tanné d’être dans les cuisines, de ne pas parler au client, d’être toujours dans le rush. Maintenant, j’ai un peu le meilleur des deux mondes : je peux partager mes produits avec les clients, tout en relaxant au champ. »
« Relaxer » implique tout de même de travailler sept jours sur sept durant la saison estivale. Les longues journées commencent aux aurores et se prolongent souvent après le coucher du soleil. Mais Mathieu ne s’en plaint pas. Au contraire, il se fait un plaisir de mettre ses connaissances culinaires au service d’une clientèle qu’il rencontre au kiosque quatre jours par semaine.
« J’ai commencé à travailler au marché à l’âge de neuf ans. J’ai toujours aimé le service et j’ai toujours été à l’aise avec les clients », dit-il avec le sourire.
Ses recommandations pour apprécier au mieux les tomates ancestrales? Les manger le plus simplement possible, en sandwich ou en salade, accompagnées d’un fromage italien comme la burrata, la mozzarella ou le bocconcini.
Ses suggestions font mouche et certaines personnes en quête d’un conseil culinaire ou d’une idée de recette exigent que ce soit lui qui les serve. Et sa clientèle, nombreuse et fidèle, lui rend bien. « À la fin de la saison, j’ai des clients qui ont quasiment les larmes aux yeux à l’idée qu’on se revoit seulement l’année suivante, raconte-t-il, un peu incrédule. C’est là que tu te rends compte que les gens achètent aussi tes produits parce qu’ils t’apprécient. C’est ce que j’aime de ma clientèle. »
Comment décrire l’ambiance du marché en quelques mots?
Festif, agréable… C’est un marché joyeux!
Un aliment à se procurer absolument à votre kiosque.
Les tomates ancestrales, évidemment, et notre ail. Ce sont les aliments que je connais le mieux.
Votre motivation à vous lever si tôt…
J’aime ça! C’est un beat de vie que peu de gens seraient capables d’apprécier, mais pour moi, c’est un juste milieu. Au marché, je peux parler et rencontrer les gens, mais lorsque je suis dans mes champs, je relaxe, je regarde le mont Rougemont au loin, je cueille mes légumes et je me recentre.
VOIR TOUS LES PORTRAITS DE FAMILLE
Texte de Benoit Valois-Nadeau, magazine Caribou
Photos de Dominique Viau, BODOÜM Photographie
La grande famille des Marchés publics de Montréal est forte des producteurs, des marchands et des artisans qui la composent. Depuis des années et des générations, ils se lèvent tôt, expérimentent, ratent parfois, recommencent tout le temps, veillent, récoltent et réussissent ! Jour après jour, ils se tiennent fièrement debout derrière leurs étals comme au bout d’une table où ils nous invitent à manger. Ils sont le cœur et l’âme d’un marché, l’essence de sa personnalité, la raison pour laquelle on a envie d’y retourner. La série Portrait de famille tient à rendre hommage et à raconter l’histoire de ces piliers de nos Marchés publics.
Ce projet a été financé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation dans le cadre du Programme d’appui au développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire en région.
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