Le roi de la forêt de Noël
Quand Christian Marois se promène dans ses plantations, il s’émerveille devant la beauté et la majestuosité de ses arbres. Il sent monter en lui une bouffée de fierté. «Mes sapins, ce sont comme la prunelle de mes yeux. Je les chouchoute, je leur parle. Ils représentent la fête, les rassemblements, la tradition», dit-il. Il se réjouit de semer, par son métier, la joie dans les familles à Noël.
Le producteur de Saint-Joachim-de-Shefford, en Estrie, vend annuellement autour de 4000 sapins à son kiosque du marché Atwater, à Montréal : Le roi de la forêt de Noël. Dès la mi-novembre, il s’y installe à temps plein… depuis plus d’un demi-siècle! «À huit ans, j’accompagnais déjà mon père au marché. Du plus loin que je me souvienne, je ne suis jamais allé à l’école en décembre. Je vendais des sapins. Je courais devant mon père pour aller saluer les clients!»
Son père a commencé à vendre des sapins au marché Atwater en 1958. «À l’époque, il n’y avait pas de plantations de sapins. Mon père vendait des sapins sauvageons, naturels, qui poussaient sur ses terres. Il en achetait aussi à des voisins qui avaient besoin d’argent pour payer leurs taxes municipales. Il était secrétaire-trésorier de la municipalité de Saint-Joachim-de-Shefford. Il faisait la route vers Montréal pour les vendre. Il était avant-gardiste.»
Christian Marois et ses trois frères ont pris la relève de la production et de la vente de sapins. Deux ont pris leur retraite depuis. Christian et son frère Richard, toujours actifs, ont chacun leur production de sapins sur les terres familiales. La famille possède et loue 150 acres avec arbres de culture et 300 acres de ferme sur lesquels poussent des sauvageons, c’est-à-dire des baumiers jamais taillés, imparfaits et peu denses.
Christian vend le sapin baumier (le plus cultivé, indigène au Québec, à l’odeur prononcée), avec ses lignées Canaan et Cook (de couleur bleutée, bien denses), et le sapin Fraser (vert foncé, avec une très bonne rétention d’aiguilles). Il vend aussi des hybrides (baumier et Fraser), ainsi que des sauvageons.
Au marché Atwater, Christian et Richard ont chacun leur stand de sapins. «C’est familial, mais on est concurrents. C’est de bonne guerre!» Ils y ont aussi chacun leur kiosque à l’année où ils vendent des produits de l’érable, du miel, des fruits et des légumes qu’ils produisent en partie sur les terres familiales. Ils revendent aussi des produits locaux, dont des légumes de serre de producteurs de Saint-Joachim-de-Shefford.
Le fils de Christian suit ses traces. «C’est une histoire de famille, de passion.» L’été dernier, ses trois petits-enfants et sa belle-fille ont participé à la plantation de sapins. «Ils les verront grandir et pourront les couper dans quelques années», dit-il, ému.
Une dizaine de jours avant l’Halloween, Christian Marois s’affaire aux préparatifs avant la coupe. Il inspecte ses arbres, coupe les branches superflues ou mortes, prépare et vérifie la machinerie et installe les campements, cabanes et roulottes. «On a des terres jusqu’à Coaticook, à environ 90 kilomètres de la ferme. Quand on s’y rend, on dort sur place. On coupe du matin au soir.» Le travail est très physique et le manque de main-d’œuvre peut peser lourd. «Je vieillis, c’est de moins en moins facile. Une chance que je peux compter sur mes neveux et nièces. C’est très familial.»
Le gros de la coupe se fait les fins de semaine. «La semaine, on a tous nos occupations. Je suis producteur bovin, acériculteur et chauffeur d’autobus scolaire. Mon père a démarré une compagnie de transport et, avec mes frères, on a toujours eu des trajets.» En semaine, la coupe est donc limitée et se déroule sur les terres à proximité.
Année après année, Christian Marois revient au marché avec enthousiasme. «J’adore le contact avec les clients. Ils sont heureux, de bonne humeur.» Les enfants s’arrêtent devant la cabane surmontée d’un père Noël géant. Ils sont subjugués par les nombreux animaux de bois. «J’aime voir la magie dans leurs yeux.» Certains clients fréquentent le marché depuis l’enfance, comme lui. Ils se présentent aujourd’hui avec leurs enfants et petits-enfants. «Il s’est créé un lien très spécial.»
La vente n’est pas toujours de tout repos. Il se rappelle un épisode de verglas qui avait plongé le marché sous une épaisse couche de glace pendant des jours. «On ne pouvait plus sortir les arbres des présentoirs, c’était un cauchemar. J’ai eu quelques nuits blanches.»
Le 24 décembre, en fin de journée, Christian Marois démonte sa cabane et remballe la marchandise. Au volant de son camion, il se sent envahi d’une soudaine nostalgie. «Je fais le tour du marché, j’arrête au feu de circulation et je vois le vide, là où il y avait la cabane. Il n’y a plus de vie, plus de village de Noël. Chaque année, je pleure comme un bébé jusqu’au boulevard Taschereau.»
Épuisé, il réveillonne sobrement avec sa compagne. Il déguste fromages et tourtière rapportés du marché. «À la messe de minuit, je m’endors avant la communion!» Le 25 au matin, il se rend à l’étable saluer ses vaches dont il s’est ennuyé. Les festivités peuvent ensuite commencer. Entouré de ses petits-enfants, il contemple le sapin décoré au salon, comblé.
Un sapin met sept ans à grandir, du plant jusqu’à pleine maturité. Chaque année, Christian Marois s’assure de replanter de 10 à 20 % plus de sapins qu’il en a coupés. «On fait notre part pour augmenter le nombre d’arbres sur la planète.» Les invendus sont récupérés pour faire de l’huile essentielle, tandis que les sapins trop secs sont réduits en copeaux.
Qu’est-ce qui vous motive à vous lever le matin?
Le travail.
Trois mots pour décrire l’ambiance au marché.
Fête, joie, magie.
Quels sont vos plus beaux souvenirs à la ferme?
Revenir au milieu de la nuit après la coupe de sapins avec mes parents dans un petit camion chargé comme une mule. L’esprit était à la fête.
VOIR TOUS LES PORTRAITS DE FAMILLE
Texte de Sophie Allard, magazine Caribou
Photos de Daphné Caron
La grande famille des Marchés publics de Montréal est forte des producteurs, des marchands et des artisans qui la composent. Depuis des années et des générations, ils se lèvent tôt, expérimentent, ratent parfois, recommencent tout le temps, veillent, récoltent et réussissent ! Jour après jour, ils se tiennent fièrement debout derrière leurs étals comme au bout d’une table où ils nous invitent à manger. Ils sont le cœur et l’âme d’un marché, l’essence de sa personnalité, la raison pour laquelle on a envie d’y retourner. La série Portrait de famille tient à rendre hommage et à raconter l’histoire de ces piliers de nos Marchés publics.
Ce projet a été financé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation dans le cadre du Programme d’appui au développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire en région.
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