L’importance de faire durer notre faim de proximité
Qui n’a pas entendu dire que manger local est « plus que jamais à la mode »? Si c’est fantastique que les agriculteurs locaux rayonnent et que leurs produits inspirent, je résiste à parler de « mode », puisque ce serait accepter qu’il s’agisse d’un phénomène passager alors que cela doit, à l’inverse, s’installer de façon durable dans nos habitudes individuelles et collectives. Et on peut tous y contribuer! Explications.
La proximité dans un système alimentaire, c’est plus qu’un kilométrage qui sépare la ferme de l’assiette. Elle revêt aussi des dimensions écologiques, sociales, culturelles, identitaires et affectives. Or qui dit proximité (dans tous ces sens du terme) dit agriculture d’occupation du territoire écologique à échelle humaine. Une agriculture qui nourrit la terre et la collectivité plutôt que les marchés globalisés.
Or, pour se nourrir sainement de ce qui est produit chez nous, il faut des fermiers et des fermières qui produisent des aliments de façon écologique… ET qui peuvent en vivre. Lorsqu’ils n’y parviennent pas, ils quittent bien souvent leurs rangs, laissant champ libre à la friche ou à des pratiques qui carburent davantage à la productivité. Alors que le climat joue au yo-yo, la biodiversité à cache-cache et certaines multinationales au roi de la montagne, on a grand besoin d’un territoire habité par des agriculteurs qui ne cultivent pas seulement des produits, mais des liens sociaux et des écosystèmes.
On ne parle pas ici de nourrir la planète, mais les collectivités, grâce à une masse d’agriculteurs ayant la crémaillère bien pendue sur un coin de terroir qu’ils habitent, dorlotent et cultivent avec bienveillance pour nourrir leur famille ainsi que les âmes et les ventres des communautés voisines. Pour ce faire, ils doivent gagner leur pain en vendant leur salade (et autres exquises denrées!). Et c’est là qu’on entre en jeu, comme mangeurs, en mettant la proximité au menu. Et pas juste comme « saveur du jour », mais comme savoureuse habitude, bien ancrée pour durer.
« Si on n’est pas tous fermier, on devrait tous se sentir comme si on en était un », dit Carlos Petrini, fondateur de Slow Food, appelant à plus de solidarité entre mangeurs et agriculteurs. Quelle que soit la quantité de terre qu’on a sous les ongles, chacun de nous peut jouer un rôle, par ses choix et son implication, pour que l’agriculture de proximité à échelle humaine fleurisse, vitalisant ainsi le territoire qui nous nourrit et nous unit.
Ingrédient magique d’un système alimentaire de proximité durable, cette solidarité entre mangeurs et agriculteurs peut s’exprimer de mille manières : en visitant les fermiers pour mieux connaître leur travail et leur réalité, en optant plus souvent pour les circuits de proximité pour s’approvisionner, des kiosques à la ferme aux formules de panier en passant par le marché public de son quartier, en doublant de créativité pour ne rien gaspiller de nos précieuses saveurs locales, et j’en passe!
Les choix individuels ne remplacent pas les nécessaires actions collectives et politiques qui peuvent favoriser l’agriculture écologique de proximité, ils s’y additionnent. C’est en regardant ainsi ensemble dans une direction commune qu’on peut voir l’agriculture de proximité comme projet de société, vert, inclusif et nourricier. À condition qu’on s’y mette, ensemble, et pas juste le temps d’une mode. Passagères peuvent être les modes vestimentaires, tout comme les coupes de cheveux ou les chanteurs de l’heure. Mais durable doit être notre goût pour la proximité. On partage un territoire aux mille saveurs et on n’a qu’une seule planète.
Julie Aubé est une nutritionniste passionnée par les saveurs du territoire québécois, l’agriculture durable et l’agrotourisme. Idéatrice des Événements Prenez le champ!, elle joue les entremetteuses en provoquant la rencontre des curieux gourmands avec les producteurs de chez nous. Formatrice et conférencière, elle collabore régulièrement à des magazines et à des sites web, en plus d’alimenter son site JULIEAUBE.com. En 2016, elle publiait le livre Prenez le champ! aux Éditions de l’Homme, et elle vient de faire paraître cet été, chez le même éditeur, son second livre Mangez local!, rempli de techniques et de recettes pour locavoriser son alimentation au fil des mois. Un petit guide aux grands espoirs d’outiller et d’inspirer à suivre le rythme des saisons au menu. Suivez Julie sur Facebook et Instagram.
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